Quelques mots sur le Raku…

  • LA PHILOSOPHIE ZEN L’idéogramme Raku signifie « le bonheur est dans le hasard », ce qui situe d’emblée les racines de cet art céramique dans la philosophie zen. Tasse à thé Raku Shorei (Pin vieilli) avec la conception de la grue, 1810-1838, Raku IX (Ryōnyū) Idéogramme « Raku » Il existe une véritable joie dans l’abandon de la maîtrise, dans le renoncement à vouloir tout contrôler. A la base de la philosophie zen, il y a ce lâcher prise et l’acceptation de ce qui est. Il consiste à ne pas faire obstacle par sa volonté aux événements qui arrivent mais à se laisser traverser par eux et accepter la réalité telle qu’elle est. Laisser faire le hasard, jouer avec lui et entrer dans sa danse… Dans la céramique en général, dans le Raku en particulier, la posture du potier comporte un certain détachement. Bien entendu il pose des choix, espère des résultats, tente d’orienter ses cuissons, mais il est bien forcé de reconnaître qu’il y a une part qui ne vient pas de lui. Il laisse se faire la rencontre ancestrale de la terre et du feu. Plus encore, cette part de hasard est désirée : « Pour qu’une œuvre mérite de vivre, elle doit avoir traverser toutes les épreuves que son créateur a imaginées, mais cela ne suffit pas, elle doit naître aussi avec quelque chose en plus, que son auteur n’attendait pas » Jean Girel, La sagesse du potier L’esprit du potier est ainsi proche de celui de l’enfant, il joue avec le réel, pétrit la matière, y met quelques ingrédients à lui, puis attend patiemment la réponse du feu. Et parfois, parfois seulement, surgit l’émerveillement… LA CÉRÉMONIE DU THÉ L’histoire raconte que le Raku proviendrait, dans le Japon du XVIème siècle, de la rencontre du modeste potier Chojiro et du lettré grand Maître du Thé Rikyu, celui même qui avait élaboré les règles de la cérémonie du Thé. Le maître lui commanda une série de bols dont la beauté brute et asymétrique fut vantée jusqu’à la cour de l’Empereur. Émerveillé, ce dernier accorda au potier et à ses descendants l’honneur de signer leurs œuvres du sceau portant l’idéogramme RAKU, évoquant « le plaisir, la jouissance spirituelle ». Bol à thé noir dans le style raku, attribué à Chōjirō (1516-1592) Tokyo A cette époque la technique Raku était donc exclusivement employée pour la fabrication des bols à thé, on les sortait du four brûlant et après leur refroidissement on les utilisait pour la cérémonie.Le thé pénétrait dans les fissures et ainsi les colorait. Ce sont les Américains qui ont transformé cette technique dans les 60’s (entre autres Paul Soldner) pour en faire un mode d’expression artistique plus libre. Ils ont été les premiers à déposer les objets brûlants dans la sciure. Donc ce qu’on appelle « raku » aujourd’hui, n’a plus grand chose à voir avec la technique originelle, si ce n’est peut-être, la joie, le bonheur, la spontanéité. ESTHETIQUE WABI-SABI Le maître zen trouva dans les formes simples et rustiques du potier, une expression plastique de la pensée zen. Le bol, objet rituel central de la cérémonie du thé, évoquait par la pureté de ses lignes et la sobriété de ses formes, l’harmonie de la nature. Les poteries montraient un certain dépouillement permettant d’aller à l’essentiel et semblaient porter la marque de l’usure du temps. L’objet, comme venu du fond des âges, nous livre une histoire tellurique qui, au moment de la cérémonie, nous connecte à ce qui nous précède et nous dépasse. La philosophie zen et le taoïsme fondent une esthétique appelée wabi-sabi. qui fait l’éloge d’une beauté du peu, de l’ombre, trouvée dans la simplicité et la sobriété. WABI (mode de vie, chemin spirituel et philosophique) / SABI (idéal esthétique, dans l’art et la littérature) Les bols ne doivent pas détourner l’attention par leur beauté ou leur raffinement. Chōjirō produit des bols, exclusivement rouges ou noirs, d’aspect simple et sans décoration, qui reflètent les idéaux du Wabi. “ En toutes choses, quelles qu’elles soient, la finition de chaque détail n’est guère souhaitable: seul ce qui est inachevé retient l’attention” Le livre du thé, Okakura Kakuzô. La céramique “Raku” est principalement basée sur la beauté de l’imperfection, le charme de l’irrégularité, le geste inachevé, en train de se faire. Il y a une sorte de brutalité dans la rencontre des énergies primitives : la terre, le feu et l’eau s’unissent pour donner vie à une pièce unique, imparfaite, comme la cristallisation d’une énergie en mouvement : on ne peut répéter ce geste créateur qui est l’exploration même. La spontanéité et le caractère imprévisible sont dans l’esprit du Raku. Il y a toujours une part d’improvisation, nous ne maîtrisons pas, dans l’absolu, tous les paramètres. Les craquelures apparaitront sur la pièce de manière au moins en partie aléatoire nous laissant stupéfaits devant cette écriture hiéroglyphique.. L’esprit du wabi-sabi est saisi dans toute sa subtilité dans l’essai intitulé Éloge de l’ombre, où Junichirô Tanizaki son auteur défend une esthétique de la pénombre par réaction à l’esthétique occidentale où tout est éclairé, s’employant à comparer divers usages de la lumière et de l’éclairage (des lieux d’aisance, par exemple) chez les Japonais et les Occidentaux. Ainsi, fidèle à l’esthétique du « sabi », il revendique la patine des objets par opposition à la manie de la propreté occidentale.

  • La technique de cuisson Raku se caractérise par une cuisson rapide à basse température ainsi qu’un refroidissement des pièces tout à fait particulier. Voici les grandes étapes : 1/ La pièce destinée à une cuisson Raku est façonnée avec une argile spéciale, une terre avec de la chamotte (grains de céramique pilés), qui la rend plus robuste pour résister aux écarts de température sans se fissurer. 2/ Cette pièce est cuite une première fois dans un four traditionnel (gaz ou électrique) en respectant un temps de refroidissement assez long. La pièce est dite « biscuitée », elle va ensuite pouvoir être émaillée, c’est-à-dire recouverte d’une glaçure composée d’un mélange de fritte et d’oxydes métalliques, qui va permettre le processus de vitrification lors d’un second enfournement. 3/ C’est alors qu’elle va subir la seconde cuisson Raku proprement dite : le four (au gaz ou à bois) est monté en température très rapidement (environ une heure) et lorsqu’il atteint environ 980°C, la pièce est défournée encore incandescente. 4/ On attrape la pièce encore rougeoyante à l’aide d’une pince et de gants en prenant soin de se protéger les avant bras et le visage. Celle-ci subit alors un puissant choc thermique : l’émail est en fusion lorsqu’il est mis au contact de l’air ambiant et refroidi par des projections d’eau directement sur les pièces. On entend la pièce qui chante, l’émail qui les recouvre va craqueler de façon aléatoire, en fonction de la température, de l’épaisseur et de la composition chimique de l’émail. 5/ Enfin, la pièce va subir une opération d’enfumage : on la recouvre de matières inflammables naturelles (comme de la sciure de bois, des copeaux ou encore du papier). Sous l’effet de la chaleur, les copeaux s’enflamment et brûlent en noircissant à cœur les zones De nuit, l’aventure devient mystique ! 6/ Pour finir, la pièce peut-être plongée dans une bassine d’eau: nouveau choc thermique qui permet de stabiliser les effets et d’accélérer le refroidissement de la pièce qui sera ensuite nettoyée avec une éponge afin d’enlever les résidus de suie et de cendre. La multitude des paramètres mis en jeu permet d’obtenir des résultats variant à l’infini, un cuisson Raku est toujours le lieu de fortes émotions et de grandes surprises, heureuses parfois, d’autres moins… Mais quoiqu’il en soit l’aventure est belle et la pièce réalisée de cette façon possède un caractère absolument unique et non reproductible. 7/ S’en suit une bonne douche pour s’enlever toutes ces odeurs de fumée et un nettoyage attentif des pièces pour leur enlever leur pellicule de suie noire et découvrir l’éclat de leur couleur ainsi que le dessin des craquelures donné par le feu…

  • Le Raku Nu se caractérise par la lenteur du processus et un certain nombre d’étapes que nous tentons d’expliquer ici : 1/ Modelage ou tournage ; La pièce destinée à une cuisson Raku est façonnée dans une argile spéciale, une terre chamottée (grains de céramique pilés), qui la rend plus robuste pour résister aux écarts de température sans se fissurer. 2/ Polissage ; Pendant le séchage, la surface est polie à plusieurs reprises à l’aide d’une pierre dure (généralement une agate), afin de la rendre parfaitement lisse. 3/ Sigillée ; Une fois la pièce sèche à cœur, on la couvre de plusieurs couches de sigillée, cela lui donnera son aspect final satiné. 4/ Biscuit ; Elle est cuite une première fois dans un four électrique en respectant un temps de refroidissement assez long. 5/ Engobe sous émail ; Une fois « biscuitée », la pièce est prête à subir la cuisson raku proprement dite. Soit on lui pose un émail et ce sera une cuisson raku classique où l’émail adhère à la terre, soit on choisit de faire un « raku nu ». Dans ce cas on la recouvre d’abord d’un engobe de sacrifice, mélange de kaolin et silice, avant de poser l’ émail, ce qui permettra à l’émail de se décoller après cuisson tout en jouant un rôle de réserve. 6/ Gravure ; On trace éventuellement des dessins à l’aide d’une pique pour laisser des entrées de fumée sur la pièce. 7/ Cuisson ; C’est alors qu’elle va subir la seconde cuisson Raku proprement dite : le four (gaz ou bois) est monté très rapidement en température (environ une heure) jusqu’à 950°C. 8/ Défournement ; La pièce est défournée encore incandescente, à l’aide de pinces, gants, masque. Celle-ci subit alors un choc thermique qui va craqueler l’émail de façon aléatoire. 5/ Enfumage ; La pièce est plongée dans une cantine remplie de copeaux de bois (certains utilisent papier journal, sciure…) 6/ Immersion ; Assez rapidement, la pièce est plongée dans une bassine d’eau afin de permettre le décollage de l’émail qui pèle comme une coquille d’oeuf. Parfois il faut s’aider d’une pointe de couteau. 7/ Nettoyage ; On frotte vigoureusement avec une éponge pour enlever les résidus d’engobe, de suie et de cendre. 8/ Cirage ; Finalement la pièce est repassée quelques minutes dans un four de cuisine pour ensuite recevoir une cire qui protégera sa surface des tâches et éclaboussures et la rendra luisante.